Gratuité

Du point de vue du producteur, la gratuité est le fait de prester un travail sans rémunération financière.

Du point de vue du consommateur, la gratuité est le fait de recevoir un bien ou un service sans avoir à les payer. L'air est gratuit, les communaux étaient gratuits, le temps partagé est gratuit.

Le travail dans l'emploi est le parasite du travail hors emploi. L'emploi a besoin d'une sphère productive domestique, privée, informelle pour pouvoir être productif. Le langage est acquis par des prestations gratuites, le langage détermine la possibilité de construction de l'esprit. La socialisation humaine, les contacts tactiles construisent le sujet désirant.

Le sujet désirant, l'être de besoin, d'affect, l'être social est utilisé par la sphère vénale: sans désir et sans besoins, l'économie ne peut vendre les marchandises qu'elle produit, sans désir et sans besoin, l'aiguillon de la nécessité tourne à vide, sur des robots. Sans désir et sans besoin construit par un travail social productif gratuit, la sphère payante de l'économie disparaît tout simplement.

De manière plus pragmatique, les prestations gratuites domestiques - le ménage, la gestion du foyer ou des enfants - déterminent la compétitivité des producteurs, leurs performances cognitives, linguistiques ou sociales. Cette gratuité inscrite dans des schémas culturels donnés condamne les productrices à une position d'infériorité sociale puisque les femmes seront culturellement construites à prester des prestations non rémunérées quand les hommes seront construits à en bénéficier gratuitement. Le déterminisme culturel passe par l'intériorisation de la valeur du travail sous emploi ou de 'valeurs' culturelles liées au genre. Les femmes seront poussées à 'servir' ou à 'prendre soin' des hommes et les hommes seront poussés hors de leurs foyers dans la sphère vénale de l'économie.

Par contre, l'économie domestique et l'économie gratuite n'ont aucun besoin de l'économie vénale pour remplir leur rôle. Elles seraient même plus efficaces sans enclosure, sans restriction du temps disponible par la logique de l'emploi ou sans privatisation des ressources de tous types.

Pour les producteurs-consommateurs, la gratuité d'accès aux ressources les ramènent à une phase économique antérieure à l'enclosure, à la privatisation de ces ressources. Cette gratuité soulage la pression de l'emploi, la pression de l'aiguillon de la nécessité. Si l'intégralité des ressources est gratuite, l'emploi n'affectera plus qu'une petite marge des producteurs.

Pour les producteurs, la gratuité des prestations les délivre des relations de clientèles serviles. Elle permet de faire émerger les questions de la sphère productives, les questions de démocratie économique.

Cette gratuité de prestation implique une rémunération des producteurs détachée de leurs rendements. Cette rémunération ne peut s'attacher au poste mais doit être due aux producteurs du fait de leur statut pour pacifier leur rapport au travail. Cette différence entre le service public (prestations pour le client public) et la fonction publique (les fonctionnaires produisent avec un statut dépendant de leur qualification) trace la frontière entre l'emploi au service de tous et l'après emploi.