Occupation

Une occupation peut être un simple passe-temps, une manière de tuer le temps. Elle empêche le vide, la friche, la flânerie de l'oisiveté, de la méditation ou de la vie sociale.

L'occupation d'un pays est le fait d'une armée étrangère. Elle y impose sa loi, son ordre. Son comportement est plus ou moins hostile, elle est plus ou moins confrontée à une résistance mais sa présence est toujours ressentie comme injuste, imposée.

Entre ces deux acceptions du terme, le monde de l'emploi occupe, l'administration occupe les chômeurs en les contraignant à la recherche de l'emploi. Il s'agit aussi bien de remplir des vides riches de potentialités, de vies, de rencontres que d'imposer un ordre sur les corps, de faire intérioriser cet ordre par les consciences.

Exergue.

Cela veut dire que l’enfant a cessé d’être
mélangé aux adultes et d’apprendre la vie directement à leur contact.
Malgré beaucoup de réticences et de retards il a été séparé des adultes
et maintenu à l’écart dans une manière de quarantaine avant d’être lâché
dans le monde. Cette quarantaine, c’est l’école, le collège. Commence
alors un long processus d’enfermement des enfants (comme des fous,
des pauvres, des prostituées) qui ne cessera plus de s’étendre jusqu’à
nos jours et qu’on appelle la scolarisation1. »
Et pourquoi cet enfermement ? Pour la même raison qu’on enferme
des délinquants. Parce que, pendant ce temps-là, « ils ne font pas de
bêtises ». Interroge une dizaine d’adultes, tu verras. Neuf sur dix (je suis
bonne) te diront que si les jeunes n’avaient « rien à faire », ils s’ennuie-
raient. Un gosse qui s’ennuie, ça va de soi, ne peut rien faire d’autre que
d’enquiquiner le pauvre monde. Et on occupe les enfants comme on
occupe un pays.

Catherine Baker parle de l'école


Michel Foucault voit l'école, la prison, la clinique et la logique analytique elles-mêmes comme des fondements du bio-pouvoir. À la suite des redoutables épidémies de peste, le bio-pouvoir contrôle les corps, il gère les populations dans des territoires, il organise, trie la pensée puis le langage.

Il me souvient d'un passage sur l'apprentissage de la soumission à l'école. Les mauvais étaient vêtus d'une tunique particulière, les très mauvais avaient encore une autre tunique, plus stigmatisant encore. Le but du système de sanction-pour-les mauvais est de faire intérioriser le contrôle du corps social par les intéressés eux-mêmes.

Dans l'emploi, la sanction est celle de 'l'aiguillon de la nécessité' de la misère. Les moins bons - les moins soumis, les moins adaptés, les moins obéissants - sont déclassés et portent des stigmates approximatives de leur déclassement.

La justification morale de l'emploi est l'occupation. Des populations livrées à elles-mêmes, sans le guide de l'aiguillon de la nécessité (et du profit de l'employeur) seraient dangereuses, sulfureuses. Elles développeraient forcément tous les vices, toutes les tares abusivement associés aux classes dangereuses.

Avant d'être une assignation à une tâche, avant d'être la soumission à un ordre barbare, l'emploi est l'occupation des gens, le refus de laisser la vie en friche croître, s'épanouir sans contrôle, sans occupation.

Et l'armée d'occupation ne manque pas à l'appel - assistants sociaux, policiers plus ou moins en uniformes - ni son clergé, sûr de lui et arrogant - il suffit d'allumer votre téléviseur - pour maintenir l'occupation. Il nous impose jusqu'à son propre langage, jusqu'à sa propre vision du monde.

Parfois douce, parfois brutale, l'occupation connaît ses complices, ses résistants et ses victimes. En dépit des millénaires pendant lesquels l'humanité s'est très bien passée d'emploi, l'occupation de l'emploi ne croit pas à la liberté humaine, à la capacité humaine à vivre, à faire société, à produire sa propre prospérité. Elle sous-entend une vision de l'humanité comme un sauvage mal terminé, comme une vie à contrôler, à gérer par la 'main invisible du marché', sorte de Léviathan, de correctif ultime à l'imperfection humaine.

L'occupation implique un occupant. L'occupant se retrouve dans une logique d'empire. Tout empire finit par s'effondrer du fait de ses inégalités et du coût de l'impérialisme, de son coût militaire et économique. Ce n'est qu'une question de temps.