Barbarie

I. Nous définirons la barbarie comme un état politique dans lequel l'humain est congédié de son propre monde, il y devient étranger.

L'humain peut être congédié de diverses façons.
  • Il peut être utilisé à d'autres fins. L'humanisme cède alors le pas au totalitarisme, l'humain devient un simple objet pour arriver à une fin extérieure à lui-même. Dans l'emploi, le travailleur est utilisé pour générer du profit par les propriétaires lucratifs.
  •  Il peut-être dépossédé de ses qualités au premier rang desquelles le savoir utile à sa survie et la possibilité de jouir de l'usage de ce qui lui utile à sa survie. Cette double dépossession, matérielle et cognitive, est ce que nous appelons à la suite de Marx la prolétarisation.
  • L'humain peut-être manipulé. On lui envoie alors de l'information inexacte pour l'amener à prendre des décisions à l'encontre de ses intérêts.
  • L'humain peut-être formé à l'efficience, à l'efficacité, à la "résolution de problème" tout en étant désensibilisé à la question du sens des choses, des actes. Un lavage de cerveau plus ou moins subtile permet d'évacuer le 'pourquoi' par le 'comment'. Ces manipulations aboutissent à un homme sans qualité, à un être dépourvu de sens éthique, à un sociopathe. C'est le comportement qui est exigé dans les entreprises.
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II. Pour Rosa Luxemburg, le fait que le capital-travail mort grossisse à chaque cycle, à chaque fois que le capital investi devient marchandise avant de redevenir capital, rend l'effondrement du système inéluctable: l'accumulation ronge tout, y compris les bases matérielles de son propre succès. Soit cet effondrement aboutit à une oligarchie de type totalitaire (il s'agit alors de barbarie, c'est la guerre de tous contre tous, l'humain devient un simple pion inlassablement sacrifié sur l'autel de l'économique), soit on arrive au socialisme (c'est-à-dire à la socialisation des moyens de production, à la fin de la dichotomie prolétaire-propriétaire).

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III. Dans l'acception actuelle de la barbarie, il faut également inclure la pernicieuse idéologie qui veut que le vivant se justifie, doive se légitimer envers l'économique. Cette barbarie pousse des gens à s'excuser de leur existence du point de vue économique. Il s'agit là d'un renversement des termes criminel: c'est l'économique qui doit se justifier envers le vivant, c'est l'économique qui doit garantir au vivant une juste et suffisante prospérité et non l'inverse.

Un chômeur qui rase les murs parce qu'un système économique ne lui laisse pas de place, c'est aussi absurde qu'un conducteur qui se sent coupable des ratés de sa voiture.

Là où cette barbarie moderne est particulièrement avancée, c'est qu'elle est intégrée par de nombreux producteurs qui estiment qu'il faut montrer un mérite (économique) pour avoir le droit de vivre. Cette façon de voir congédie l'humain comme fin et lui substitue une fin économique au service de laquelle il doit se soumettre, corps et âme. Cette barbarie est intériorisée par les intéressés. Ils se sentent coupables (de vivre? d'incarner la forme de vie qu'ils incarnent? d'avoir les goûts, les penchants, les peurs, les blessures qu'ils ont?) de ne pas trouver de place dans le circuit économique.

De notre point de vue, le fait que quelque producteur que ce soit n'ait pas une place légitime, qualifiante et qualifiée dans l'économie atteste la profonde inefficacité de cette dernière. Quand une machine - l'économie est une machine - est inefficace, on la remplace, on la répare: il s'agit d'inventer une économie qui intègre tous les producteurs dans leur dignité, dans le respect de ce qu'ils sont, dans le respect de leurs limites, de leurs forces, de leurs changements, de leurs faiblesse faute de quoi, il n'y a pas lieu de parler d'économie mais de chrématistique totalitaire.